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Usage du numérique en période électorale française

Les nouvelles technologies participent à la transformation des usages existants de nos sociétés. Le monde politique n’y échappe pas. Elles permettent d’approcher plus d’électeurs, surtout les indécis. Les candidats, pour la plupart, se servent davantage du numérique pour véhiculer leurs idéologies politiques. Cet usage se fait dans une stratégie bien orchestrée par des équipes de…

Les révélations sur l’affaire Cambridge Analytica ont suscité énormément de débats sur l’usage du numérique dans le monde démocratique et politique. Au-delà des pierres qu’on pourrait leur jeter, les outils numériques offrent au citoyen une opportunité d’accroître sa liberté d’expression et sa participation à la vie politique. “ La conséquence directe de cette rencontre est une modification profonde, non pas de la politique en elle-même, mais de la manière de faire de la politique “ (Michaël Bardin, 2017).  En réalité, cette technologie n’est rien d’autre qu’un outil au service des acteurs du monde politique, y compris les électeurs. 

Avant l’avènement du web et des autres nouvelles technologies

Les partis politiques collectaient déjà des masses de données mais de manière “artisanale”, notamment par le mécanisme du porte à porte ou par des formulaires d’adhésion. Ces méthodes nécessitent sans doute plus de moyens financiers et humains mais permettaient d’aboutir aux objectifs de collecte et de suivi des adhérents. 

il n’y a rien de nouveau sous le soleil

Comme le dit l’Ecclésiaste dans l’ancien testament.

Toutefois, la nouvelle approche qui associe des outils numériques dont le web aux techniques traditionnelles,  s’avère plus efficace dans une certaine mesure.

L’apport des nouvelles technologies à la stratégie de campagne électorale

Les nouvelles technologies permettent d’approcher plus d’électeurs, surtout les indécis, au mieux les électeurs de l’autre bord à travers des techniques marketing numérique bien organisées. En effet, la qualification et le croisement des données contribuent à une meilleure connaissance et au profilage des électeurs permettant de créer des publicités ciblées ( campagnes électorales ciblées) et communiquer de manière plus directe avec les potentiels futurs électeurs.

Les nouvelles technologies constituent un vecteur d’amplification des idéologies politiques

 Au-delà, de la victoire escomptée, au soir de l’annonce des résultats, les candidats recherchent avant tout à véhiculer davantage leurs idéologies politiques avec les nouvelles technologies. En fait, la structure réticulaire du web, par exemple, serait adaptée à l’expression politique et à l’invention de nouvelles formes d’engagement et d’actions militantes (Cardon, Granjon, 2010). Pour faire passer son message sur le web, l’un des enjeux de la communication politique, particulièrement en période de campagne, est d’être capable de diffuser ses idées et de réussir à les faire circuler au sein de réseaux influents dans l’opinion publique. La massification des publications est une clé dans une telle stratégie.

          Le premier en France à se doter d’un site Internet à une échelle nationale

En 1996, le Front national fut le premier en France à se doter d’un site Internet à une échelle nationale pour contourner sa “sous-représentation” dans les médias traditionnels, selon l’Institut national de l’audiovisuel. Les plateformes numériques vont permettre au Front national de véhiculer ses idées en échappant à certaines contraintes des médias traditionnels voire à la censure. Il va s’en suivre un intérêt un peu timide pour ce nouvel outil. L’occupation de la scène politique se faisait essentiellement à travers les canaux traditionnels. 

Le grand tournant de l’usage du web dans la scène politique française

 La campagne présidentielle française de 2007 va marquer un grand tournant de l’usage du web dans la scène politique française. Elle s’est caractérisée par le développement de sites personnels de certains candidats. Les candidats français, à l’instar de leurs homologues américains (Boucq, 2007), se sont lancés dans le marketing sur Internet (Daniez, 2007). La candidate socialiste, Ségolène Royal fonde une partie importante de sa campagne électorale en encourageant la création d’un réseau local de soutien à travers un blog (le « Ségoland »).  Bien avant, dès son élection à la tête de l’Union pour un mouvement populaire en novembre 2004, Nicolas Sarkozy avait lancé un appel d’offres pour  engager une agence pour sa stratégie en ligne. L’Enchanteur des nouveaux médias, agence de conseil en marketing et communication online fut le vainqueur de l’appel d’offres. On dénombre après septembre 2005 six vagues de 200 000 à 300 000 envois et au moins 3 millions de courriels au total. L’UMP utilise également le référencement et l’achat de mots clés, 15 000 euros sont dépensés chaque mois pour promouvoir le site selon Alexandre Débouté (2006). 

L’adaptation au modèle américain

En 2012, les équipes web de F. Hollande tentent d’adapter le modèle de l’équipe d’Obama (grassroots) pour organiser des actions militantes, à travers des outils en ligne. Pour ce faire, deux sites ont été lancés : « françoishollande.fr », l’objectif était de mettre en valeur la parole et l’agenda du candidat et « toushollande.fr » afin d’organiser l’action des militants, dont le porte-à-porte. 

        La place des réseaux sociaux lors des campagnes électorales

 Aujourd’hui, les candidats font plus usage des réseaux sociaux pour agrandir leur portefeuille d’électeurs, une sorte de “campagne 2.0”. Lors de la campagne électorale de 2017, l’équipe d’Emmanuel Macron a fait un usage massif des réseaux sociaux et de sites internet pour accroître la diffusion des concepts développés par leur candidat.  Il est sans doute l’homme politique le plus suivi sur la plupart des réseaux sociaux ( Twitter, instagram, Facebook, Linkedin et autres). Il totalise plus de 3,7 millions de followers sur Facebook, suivi de Marine Le Pen qui possède 1, 5 millions d’abonnés et de Jean Luc Mélenchon qui a un peu plus d’ un million de followers. Sur Twitter, la note est plus élevée avec ses 7,4 millions d’abonnés alors que Marine Le Pen et Jean Luc Mélenchon se situeraient autour de 2 millions d’abonnés chacun. Toutefois, Jean Luc Mélenchon, premier homme politique français  à avoir utilisé un hologramme dans un meeting, le 5 février 2017, pour sa part, a su s’approprier la plateforme YouTube en créant une chaîne qui décrypte les actualités politiques. En 2016, Jean Luc Mélenchon se retire des médias classiques pour pousser ses partisans à le suivre sur sa chaîne YouTube qui totalisait déjà 36 mille abonnés. Il déclare le 18 octobre sur BFMTV “J’ai intérêt à me mettre en retrait de l’expression publique. J’ai mes propres moyens d’expression”. Il demeure depuis 2016 l’homme politique français le plus suivi sur ce réseau.  Sa chaîne YouTube est suivie par près de 600 mille abonnés ( au moment où nous écrivons cet article). Alors qu’ Emmanuel Macron, le président en exercice, totalise 230 mille abonnés, moins de la moitié, et que Marine Le Pen n’a que 51 mille abonnés. 

L’équation ” forte activité synonyme de victoire”

 Une forte activité sur le web lors de la campagne ne signifierait pas une victoire certaine à l’issue des élections. Lors de la campagne électorale de 2022, certains candidats ont su développer une véritable stratégie numérique notamment le candidat du parti la Reconquête, Éric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon de la France Insoumise. En revanche, de manière paradoxale, les deux finalistes de la Présidentielle, Emmanuel Macron et Marine Le Pen, ont fait le choix d’être plus discrets sur les réseaux et les supports numériques. 

Apparition des « Civic Tech » dans la politique

 Outre les réseaux sociaux, une autre technologie du numérique fait petit à petit son apparition dans le jeu politique français. Il s’agit du concept de « Civic Technologies » ou « Civic Tech » apparu dès 2011 en France. Cette expression anglaise s’apparente à des « technologies citoyennes » ou « technologies à visées citoyennes ». Elles se situent entre les deux grands acteurs politiques avec l’ambition de concilier les aspirations à la fois des politiciens et celles des citoyens. Elles pourraient transformer le fonctionnement de la démocratie, améliorer son efficacité et son organisation grâce à un renouvellement des formes d’engagement des citoyens. Cette technologie avait été largement utilisée par l’administration Obama qui ambitionnait une refonte du fonctionnement de l’administration par la création d’un gouvernement dit ouvert .  L’objectif est d’améliorer l’efficacité de l’action publique en mettant les données issues de l’activité de l’administration à disposition et en favorisant leur réutilisation par de nouveaux services via des applications numériques. 

Le champ d’action des « Civic Tech » en France

 En France, la plupart des Civic Techs œuvrent dans un champ plus institutionnel. On y trouve aussi bien les outils de campagne électorale (LMP), ou ceux qui permettent de signaler des dysfonctionnements de voirie (Tellmycity) ou d’interpeller des élus par des pétitions (change.org). Mais aussi, ceux qui s’initient dans un engagement civique de sciences collaboratives comme seintinelles.com, qui met en relation chercheurs et volontaires pour participer aux études de lutte contre le cancer du sein.

D’autres dispositifs œuvrent pour une démocratie plus participative, contrairement à la démocratie de type représentatif qui est en vigueur dans la plupart des Etats, notamment en France. Ils cherchent à associer les citoyens directement à l’écriture de la loi. Ils proposent des outils de pétition et d’initiative citoyenne. Le cas du projet Parlement et Citoyens qui propose dans cette perspective un outil de débat en ligne pour aboutir à des « amendements citoyens ».  En 2015, la Secrétaire d’État au Numérique Axelle Lemaire choisit cette plateforme pour ouvrir le projet de loi « République Numérique » à la discussion. 20 000 participants y ont déposé 8 000 contributions, et 140 000 votes.  Par ailleurs, lors du débat national, à la suite du mouvement des Gilets jaunes, le gouvernement a fait appel aux deux plus grandes entreprises de Civic Tech. Il s’agissait de  Cap Collectif, qui a mis sur pied la plateforme numérique et de Blue nove qui était chargée d’analyser une partie des contributions des Français au débat national. 

 

Conclusion

Il apparaît, ainsi, une nouvelle forme de militantisme plus orchestrée par les équipes de campagne. Tout en rassurant et en alimentant les adhérents, déjà “conquis”,  par des publications bien millimétrées et adaptées à chaque plateforme, on se concentre également et surtout sur les indécis. L’idée est de donner la possibilité de développer un « militantisme augmenté » et faire écho aux questionnements autour du membership et de l’affaissement du rôle privilégié des adhérents (Gibson et al., 2013). Si avant l’avènement du numérique, l’équipe de campagne devrait mener des actions pour véhiculer et attirer les électeurs, avec le web, par exemple, l’électorat d’un candidat participe en pleine connaissance ou non à l’émergence des idées ou au candidat à travers ses “Like”, “Partage” ou “Commentaires” sur les plateformes numériques. En se faisant, l’électorat devient un acteur central de la campagne électorale. Il n’est plus nécessaire de se déplacer pour soutenir son candidat et faire véhiculer les idées politiques, à quoi bon si on peut le faire depuis son canapé ou sur une plage.  Et pourtant, contre toute attente, le vote électronique quant à lui, est encore loin d’être une réalité en France, malgré une campagne très dense en ligne. A mon humble avis,  le confort du numérique loin d’être une panacée, pourrait tout de même être une solution plausible pour contrer le fort taux d’abstention.  Et bien, qui vivra verra!

 

Auteur:

STEPHANE KOUAKOU-KAN JURISTE EN CONFORMITE

Stéphane KOUAKOU-KAN, Juriste en conformité spécialisé en Numérique, en Gouvernance des données, en lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.

 

Pour aller plus loin

Bibliographie:

  • Dominique Cardon, Le Web, entre le marché et les communs
  • Michaël Bardin, Les partis politiques et l’outil numérique
  • Nicolas Cori, Le trouble architecte de la plateforme du grand débat
  • Archive wikiwix, Qu’est-ce que le Web 2.0
  • INA: la revue des médias, Fachosphère : l’extrême droite envahit le net
  • Radio france, Le bilan numérique de la campagne présidentielle 2022
  • BFMTV
  • 20minutes, Europe 2.0: « il sert à cibler les indécis, les abstentionnistes»… pourquoi les partis politiques misent tous sur le « big data»
  • Source image: https://www.ville-chaville.fr/

 

 

 

 

 

 

Cet article a 4 commentaires

  1. Firmin Kouadio

    Je viens de te lire et j’avoue que j’ai envie de découvrir “Brève histoire du chiffrement”. J’ai lu une plume en construction. Bravo mon frère pour ton initiative. Elle est à saluer. 👏🏼

  2. Anonyme

    Merci pour cet article qui nous éclaire sur l’importance de l’usage du numérique en politique. Encore faut-il que cet outil ne soit pas détourné des fins pervers.

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