You are currently viewing Des mesures de prévention contre la contrefaçon en Afrique : analyse à la lumière de l’Accord de Bangui Révisé
Firmin Kouadio

Des mesures de prévention contre la contrefaçon en Afrique : analyse à la lumière de l’Accord de Bangui Révisé

  • Auteur/autrice de la publication :
  • Dernière modification de la publication :2024-03-14
  • Commentaires de la publication :0 commentaire

Selon la doctrine, les mesures préventives dont l’objet est d’assurer le respect dû à la propriété des auteurs d’œuvres sont, essentiellement, la « peine, la confiscation et la destruction des exemplaires contrefaits et des instruments de contrefaçon, la saisie, les mesures douanières, les injonctions et les défenses ». Cette énumération (d’essence pénaliste) semble ne concerner, uniquement, que les mesures dissuasives de répression ; elle n’englobe pas les mesures techniques de protection suscitées par le progrès digital. Or, le phénomène de la contrefaçon numérique avec le « pair à pair » est devenu tellement préoccupant, que le recours à ces mesures techniques s’avère de plus en plus une nécessité. La musique, par exemple, est une « industrie touchée de plein fouet par le piratage en Afrique, que ce soit en physique avec la vente de CD pirates, ou en digital via le streaming et le téléchargement illégal ». D’ailleurs, il est de constat – très réaliste – que le contrôle de l’utilisation des œuvres sur Internet est impossible pour l’instant sur le continent africain. Cela est révélateur de l’insuffisance des mesures préventives que sont les « mesures techniques de prévention » que nous analysons à présent, et les « mesures dissuasives de répression » dont l’analyse fera l’objet d’un prochain article.

LA DÉFICIENCE DES MESURES TECHNIQUES DE PRÉVENTION

Les mesures techniques de prévention, qui s’analysent en des technologies ayant pour objet de prévenir les actes de contrefaçon, ont pour finalité d’assurer une protection effective et efficace des droits des auteurs d’œuvres protégées. Ce sont essentiellement des mesures de protection dans le domaine du digital. Il s’agit, trivialement, des sortes de clés informatiques. D’une façon étonnante, l’Accord de Bangui Révisé de 1999 – alors en vigueur –, au rebours de l’Acte de Bamako en vigueur depuis 2020, ne mentionne expressément pas cette notion ; il mentionne plutôt une expression quelque peu floue, en l’occurrence « moyens techniques », en son article 65. Seules quelques législations nationales font mention de cette notion dans leurs dispositions, même si le contenu reste toutefois inexploré, de sorte que le recours à la doctrine française et à celle du copyright américain s’avère nécessaire. Ces mesures sont, en fait, relatives aux technologies de protection (A) et d’information (B) qui, faut-il l’avouer, sont malheureusement en défaillance en Afrique.

A- La défaillance des technologies de protection

Il faut reconnaître que les pays africains, en particulier ceux de l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle, ne sont technologiquement pas assez outillés pour empêcher, interdire, ou pour limiter les utilisations d’une œuvre non autorisées par ses titulaires.

D’ailleurs à la lecture transversale de l’Accord de Bangui Révisé et des législations nationales, nous constatons qu’aucune disposition ne prévoit le contenu des mesures techniques, nonobstant les obligations qui découlent du Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur.

Or nul ne saurait douter de l’utilité de ces mesures techniques de protection (MTP), dont certaines sont exclusivement liées aux technologies de protection des œuvres numériques.

En clair, par technologies de protection, il faut entendre des « technologies, dispositifs ou composants électroniques, permettant d’empêcher ou de limiter l’usage d’une œuvre protégée ». Celles-ci peuvent, en pratique, s’identifier à un code d’accès, au cryptage ou au brouillage.

Il pourrait s’agir, par exemple, du Serial Copy Management System, principalement utilisé aux Etats-Unis sur les dispositifs d’enregistrement audio digitaux, tel le DAT (Digital Audio Tape), permettant à l’appareil de décoder les signaux audio intégrés dans le support, et de décoder notamment les données relatives à la protection de celui-ci. Cette mesure technique de protection a cette particularité, d’autoriser la réalisation d’une seule copie digitale à partir de l’original, en empêchant toute copie ultérieure.

Il y a également un deuxième exemple qui démontre bien l’utilité des mesures techniques, que les Etats africains pourraient utilement implémenter : il s’agit du Content Scrambling System, basé sur la technique de la cryptographie, parfois apposé sur les DVD afin d’en empêcher toute reproduction.

Cela dit, la raison pour laquelle nous critiquons l’absence de contenus, dans le contenant machinalement prévu par l’Accord de Bangui Révisé en son article 65, ainsi que les législations nationales de quelques Etats-membres seulement, c’est que les infractions de neutralisation frauduleuse d’une mesure technique sont (et même doivent être) réprimées par la loi pénale.

La répression de telles infractions, qui s’identifieraient aux actes de contournement des mesures techniques de protection, est prévue par l’article 12 alinéa 1 du Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur.

Celui-ci dispose que « les Parties contractantes doivent prévoir des sanctions juridiques appropriées et efficaces contre toute personne qui accomplit l’un des actes suivants en sachant, ou, pour ce qui relève des sanctions civiles, en ayant des raisons valables de penser que cet acte va entraîner, permettre, faciliter ou dissimuler une atteinte à un droit prévu par le présent traité ou la Convention de Berne : supprimer ou modifier, sans y être habilitée, toute information relative au régime des droits se présentant sous forme électronique ; distribuer, importer aux fins de distribution, radiodiffuser ou communiquer au public, sans y être habilitée, des œuvres ou des exemplaires d’œuvres en sachant que des informations relatives au régime des droits se présentant sous forme électronique ont été supprimées ou modifiées sans autorisation ».

A considérer donc qu’en matière pénale il n’y a pas d’infraction sans texte, ce serait une violation du principe de la légalité criminelle – fort cher à Cesare BECCARIA – que de réprimer un acte qui n’aurait pas été prévu par la loi pénale. Par ailleurs, il n’y a pas que les technologies de protection qui soient en défaillance ; il y a également celles dites d’information ou d’identification, qui semblent n’avoir été pas prévues par les législations régionale et nationales.

B – La défaillance des mesures d’information

La lecture de l’Accord de Bangui Révisé ne fait aucune mention explicite de mesures techniques d’information, pas plus que les législations nationales des États membres de l’OAPI. Dès lors, pour appréhender la notion, une sage incursion dans la doctrine étrangère s’avèrerait incontournable.

Selon, en fait, le lexique du droit de la propriété intellectuelle de Patrick Tafforeau, les mesures techniques d’information ou d’identification (MTI) s’analysent en des « technologies, dispositifs ou composants électroniques permettant de délivrer au public des informations, sur le régime des droits afférents à une œuvre ou à un objet protégé par un droit voisin, ainsi que d’identifier ces œuvres ou objets et de les suivre dans leur parcours sur les réseaux ».

A l’analyse, il s’agit, d’une part, des mesures techniques utilisées simplement pour le marquage et le tatouage ou l’identification des œuvres.

Il en est ainsi du watermarking, qui permet d’insérer certaines informations dans le code digital de l’œuvre, et du fingerprinting, lequel est assez répandu dans les agences de photos aux États-Unis. Celles-ci appliquent ainsi leur nom ou leur logo sur un exemplaire d’une photo aux seules fins de promotion, et ne communiquent l’image débarrassée de ce marquage que lorsque le paiement de la rémunération prévue a été effectué.

Il y a certes l’apposition des vignettes d’authentification (ou stickers), mais celles-ci ont montré leur limite.

D’autre part, ces mesures techniques d’information sont constituées par les Systèmes de gestion électronique, dont la fonction est d’assurer la gestion des droits sur les réseaux, en permettant la conclusion de licences d’utilisation en ligne, et en contrôlant l’utilisation des œuvres.

Diverses fonctions même peuvent être prises en charge par ces outils : la répartition des droits perçus, la perception des paiements, l’envoi de factures et la réalisation de données de profilage des utilisateurs. C’est le cas notamment des agents électroniques, et des Electronic Right Management Systems (ERMS) ou Electronic Copyright Management Systems (ECMS).

A l’examen, le fait qu’il n’existe pas pareilles mesures dans les dispositions de l’Annexe VII de l’Accord de Bangui Révisé, ni clairement dans les législations nationales, à l’instar des technologies de protection, aurait l’inconvénient de jouer contre les auteurs qui appliqueraient de telles mesures surtout que, suivant les recommandations HADOPI, les mesures techniques ne doivent pas empêcher le jeu des exceptions, notamment de copie privée, ni l’interopérabilité entre les logiciels. En somme, il convient de retenir que les mesures techniques de protection et d’information, désignées par l’acronyme anglo-américain DRMS qui signifie Digital rights management system, apparaissent comme une protection de fait, ayant pour but d’empêcher les utilisations illicites, à côté de la protection judiciaire déclenchée par l’action en contrefaçon. Et parfois cette action judiciaire (en contrefaçon) est précédée ou accompagnée de la mise en œuvre de certaines mesures dissuasives de répression, lesquelles également n’en demeurent pas moins marquées par la plasticité.

Auteur

Firmin Kouadio
Firmin Kouadio,
Écrivain-juriste,
spécialiste en droit de la propriété intellectuelle

Références bibliographiques

Ouvrages, articles, études

BECCARIA (Cesare), Des délits et des peines, traduit de l’italien par Collin de Plancy, éditions du Boucher, 2002, ISBN : 2-84824-005-9

FOMETEU (J.), Le droit d’auteur et les droits voisins : questions/réponses, Cameroun, éd. L’Harmattan, 2018 (disponible sur le site www.internationalscholarvox.com )

HUARD (Gustave), Traité de la propriété intellectuelle, Tome 1er, Paris, 1903

KOUADIO (Firmin), La protection du droit d’auteur dans l’espace de l’OAPI, London, Editions universitaires européennes, 2022

NGOMBE (Laurier Yvon), « Chronique d’Afrique », in Revue Internationale de Droit d’Auteur, n°203, janvier 2015

NUVOLONE (Adèle), LENNE (Olivier), HUET (Jean-Michel), RAFLE (Camille), Etude technique sur les droits d’auteur dans les pays de l’UEMOA, Décembre 2017-Février 2018

SIMLER (Christel), Droit d’auteur et droit commun des biens, th. Université de Strasbourg, éd. Litec (LexisNexis), 2010

TAFFOREAU (Patrick), Droit de la propriété intellectuelle, 325 mots clés définis et expliqués, Gualino, éditions 2017, ISBN 978-2-297-06593-1

TAFFOREAU (Patrick), MONNERIE (Cédric), Droit de la propriété intellectuelle, Gualono, Lextenso éditions, 4è éd. 2015, ISBN 978 – 2 – 297 – 03994 – 9

VIVANT (Michel), BRUGUIERE (Jean-Michel), Droit d’auteur et droits voisins, Dalloz, 4è éd., 2019 (disponible sur le site www.internationalscholarvox.com )

Textes visés :

Accord portant révision de l’accord de Bangui du 02 mars 1977 instituant une organisation africaine de la propriété intellectuelle

Acte de Bamako du 14 décembre 2015 destiné à remplacer l’Accord de Bangui Révisé de 1999

Directive 2001/29/ CE du 22 mai 2001 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information (DADVSI), loi DADVSI du 1er août 2006 (art. L. 131-9)

Loi n°2016-555 du 26 juillet 2016 relative au droit d’auteur et aux droits voisins en République de Côte d’Ivoire

Loi n° 2000/11 du 19 décembre 2000 relative au droit d’auteur et aux droits voisins du droit d’auteur au Cameroun

Loi n° 2008-09 du 25 janvier 2008 sur le droit d’auteur et les droits voisins au Sénégal

Ordonnance n°2010-95 du 23 décembre 2010 portant sur le droit d’auteur, les droits voisins et les expressions du patrimoine culturel traditionnel au Niger

Traité de l’OMPI sur le droit d’auteur, adopté à Genève le 20 décembre 1996

Firmin Kouadio

Juriste, auteur de l'œuvre "La protection du droit d'auteur dans l'espace de l'OAPI"

Laisser un commentaire